"PRESERVONS NOS INSTINCTS"
Ou
UNE HISTOIRE DE SUSPENS ALIMENTAIRE
UNE COMEDIE PARODIQUE EN QUATRE ACTES DE
CHRISTOPHE REY
Contact : Christophe Rey – 06 82 67 77 50
christopherey@libertysurf.fr
Dans notre société commerciale où l’accès à la nourriture est aussi
facile que de pousser la porte d’une grande surface ; en général elle
s’ouvre toute seule juste avant que l’on ne s’emplafonne dedans ; il
est important pour l’homme d’entretenir ses instincts animaux,
notamment celui de la prédation.
Non, Je ne suis pas complètement con, je sais que l’accès facile à la
nourriture dont je parle, ne touche que quelques uns d’entre nous,
mais les autres, de toute façon, on s’en fout, ils n’ont pas de bouffe,
d’accord, mais ils n’ont pas la télé non plus, alors …
Cette micro-série en quatre actes nous replace avec humour et
ironie dans notre nature première, celle de l’animal aux aguets, prêt
à tout pour nourrir sa famille.
C’est ainsi toute l’histoire de l’humanité qui se joue dans cette miniparodie,
le jeu impitoyable qui oppose le lion et la gazelle, le chat et
la souris, le doryphore et la pomme de terre, l’homme, la femme et
son mari.
ACTE 1 - UNE PARTIE DE PÊCHE
A l’angle du Stock d’à côté de chez moi, un homme revêtu d’un long
manteau regarde de part et d’autre.
Tout laisse présumer qu’il prépare un mauvais coup.
Prenant un air naturel comme un détective de mauvais film, c’est à
dire louche, il entre dans le magasin, ne prend pas de panier.
Le gardien à l’entrée lui lance un regard, mais son attention est
aussitôt retenue par une bande de zonards s’engueulant pour
acheter de la bière.
L’homme parcourt les rayons, jetant au hasard un coup d’oeil furtif
aux boîtes de conserves et pots de mayonnaise
En vue du stand du poissonnier, qui en l’occurrence est une
poissonnière, il marque une halte, regarde à droite et à gauche,
devant et derrière.
Le gardien en bout de rayon surveille.
Cette fois il n’y a plus personne, la poissonnière s’est absentée, c’est
le moment.
L’homme enlève son manteau, dessous il est en combinaison
néoprène, pour la plongée sous-marine, les palmes pendent à son
cou, le fusil harpon scotché sur un pan intérieur de son manteau.
Il achève de se préparer, met son masque, enfile son tuba.
Un dernier coup d’oeil. Allons-y.
Mal à l’aise avec ses palmes, il se dépêche vers l’étale du
poissonnier, se vautre sur la glace pilée, au milieu des crevettes,
filets de flétan, et autres brochettes de la mer.
Il repère sa proie, un superbe congre dont il ne manque qu’un bout
de queue, il vise, ajuste son tir.
Il tire.
La flèche traverse le poisson juste au niveau des branchies.
Un tir parfait, sûr et net.
La poissonnière, sans retenue, sous le choc sans doute, éclate d’un
rire énorme et généreux, conquise.
Le gardien, arrivé au grand galop, vocifère, le portable à la main.
Déjà, au loin, les sirènes de police.
ACTE 2 - QUI VA A LA CHASSE …
A l’angle du Stock d’à côté de chez moi, un homme revêtu d’un
« barbour » regarde de part et d’autre.
Tout laisse présumer qu’il prépare un mauvais coup …
Peut-être pas, il a une jambe dans le plâtre et se déplace avec l’aide
de deux béquilles.
Le gardien le toise, le sourire moqueur, voire narquois.
L’homme ne prend pas de panier, il est dans le plâtre.
Une caissière le suit du regard, échange quelques mots avec une
collègue, toutes deux pouffent de rire.
La poissonnière, compatissante, porte la main à sa bouche et opine
du chef
L’homme fait un geste, comme pour répondre : « non, non, ce n’est
pas grave ».
Il continue son chemin cahin-caha.
A l’abris des couches culottes, il entreprend désormais de démonter
une de ses béquilles. Le tube se révèle être un fût de carabine.
Il sort de sa poches le percuteur, et de son dos la crosse.
En position de commandos des films américains prêts à faire
irruption en terrain à découvert, il jette un regard furtif de chaque
côté, virevolte, se met en position de tir.
Le boucher, prévenu comme par instinct, se retourne, stupéfait.
Il ouvre toute grande sa bouche comme pour crier.
Un silence terrible déchire le magasin.
L’homme fait feu.
Un nuage de plumes de faisan nous rappelle aux joies de Noël.
Le gardien, au bout d’une longue glissade, émerge au ralenti sous la
plume.
« Jingle bell, Jingle bell … »
ACTE 3 - LES QUATRE SAISONS
Le Stock d’à côté de chez moi. Un homme vêtu tout à fait
normalement d’un blouson un peu ample, d’un pantalon de toile
épaisse et de simples chaussures.
Il porte néanmoins un chapeau de paille, enfin, jusque-là, rien de
bien méchant, si ce n’est toujours ce petit air de préparer un
mauvais coup.
Dès qu’il se présente devant la porte automatique, le gardien
l’interpelle, le fouille sans un mot, le regard féroce.
Rien.
L’homme entre dans le magasin, prend un caddie.
Le regard des caissières.
Le gardien téléphone du poste de sécurité, sur le mur.
La poissonnière passe une main dans ses cheveux.
L’homme devant la charcuterie, hume quelques pâtés et jambons.
Tiens, les biscottes.
Non, l’homme continue son chemin, d’humeur distraite.
Ah, les pommes.
Regard de droite et de gauche.
Inquiétude de la vendeuse de quatre saisons.
Non, décidément, l’homme continue son chemin en poussant son
caddie toujours vide.
L’attention du gardien, mais aussi des autres membres du personnel
se relâche.
Caché derrière une petite foule de badauds en expectative devant
une démonstration de moulinette, notre homme se déshabille,
laissant apparaître sous ses vêtements une peau peinte en vert.
Désormais affublé d’une sorte de tunique verte en faux feuillage,
avec des chaussures de lutin, l’homme étrange finit de se peindre le
visage et les mains en vert.
Il contourne son chariot, d’un geste précis et rapide, démonte une
partie du côté amovible du caddie, celui qui bascule quand on y met
un gamin.
Presque d’un seul et même mouvement, il extrait du caddie la barre
de conduite, que l’on tient pour le pousser et l’ajuste aux barreaux
dudit côté amovible.
L’ensemble forme une petite fourche.
Bien campé sur ses deux jambes, la fourche bien en main, le géant
vert enfourche et enfourche de nouveau quantité de boîtes de maïs,
petits pois carottes, haricots et tomates pelées pour en remplir son
chariot auquel il manque toujours un côté.
Alerté par la rumeur des badauds surpris, le gardien, rouge de rage,
déboule dans l’allée
Les boîtes éventrées dégorgent leur jus, tombent par terre.
Ça patouille.
Le gardien glisse, patine sans parvenir à se stabiliser.
Dans un vol plané digne de l’envol des oies au ralenti sur la musique
de Vangélis « L’apocalypse des animaux », le gardien s’affale
lourdement sur les boîtes, dans le jus qui gadouille.
ACTE 4 - ET LA CREMIERE ALORS …
Toujours le même personnage, au guet à l’angle du Stock d’à côté
de chez moi …
Que va-t-il se passer ? Qui sera sa proie ?
Le gardien le suit d’un regard chargé d’inquiétude, de haine et de
curiosité.
Une certaine tension retient les deux hommes, comme celle qui
règne pendant un duel dans un western.
Toutes les personnes du magasin le regardent, muettes de
stupéfaction, les clients, caissières, magasiniers.
La poissonnière, au loin, sourit.
L’homme dans les rayons, calme, sûr de lui.
Il débouche côté légume.
Sourire amusé voire complice de la vendeuse des quatre saisons.
Il tourne brusquement sur sa gauche, direction la crémerie.
Le regard angoissé de la crémière.
Puis doucement, le décolleté ouvrant sur sa poitrine.
L’homme sourit.
Les fromages, secs, petits, pâteux ou moelleux.
Un cri, à mi-chemin entre peur, offuscation et plaisir.
L’homme tète goulûment la poitrine de la crémière, sa blouse
blanche ouverte jusqu’au bas-ventre.
Elle bascule la tête en arrière, ferme les yeux, et dans un sourire à
peine dissimulé, s’abandonne à la fatalité.
Au loin, derrière la glace pilée, la poissonnière fait la gueule.
Sous ses pintades, le boucher se marre franchement.
Au bout de l’allée, le gardien explose de rage.
Il se frappe la tête contre le mur.
Il supplie la madone.
En désespoir de cause, toujours à genoux, il arrache son alliance et
la déchiquette avec ses dents.