"SALE TEMPS DANS LA BERLINE" de Philippe Marlu

Un court métrage qui sera réalisé par Eddy del Pino

Extérieur : Plan général : une route embouteillée…
On entend des coups de klaxons.

 

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Toute la scène en intérieur :

 

4 personnes dans une voiture.

À l’avant :

Le père, au volant.

La mère, sur le siège passager.

À l’arrière :

Le garçon, un adolescent boutonneux.

La fille, (une petite fille).

 

Ils ont mis tous les quatre leur ceinture de sécurité.

 

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La fille,

elle a un walkman sur les oreilles,

dont on entend le bruit étouffé.

Ça énerve le père.

 

La mère, sur le siège passager.

Elle est en train de se limer les ongles.

« Crikicrikicric ».

Ça énerve le père.

 

Le père,

les mains sur le volant, concentré, l'air mauvais, crispé, regarde devant lui : 

-Putain… Ça avance pas...

 

La mère :

 -Ouais, à ce rythme-là, on arrivera jamais...

 

Le père lui jette un œil mauvais.

 

À l'arrière, le garçon sifflote.

Ça énerve le père.

Il tapote sur le volant.

 

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La mère :

-T'es sûr que c'est par là ?

 

Le père :

-Ouais ben, c'est ça, dis tout d'suite que j'chuis con, aussi, tant qu’à faire.

 

La mère :

-Ah maaaais ! c'est pas ça que j'voulais dire...

Faut tout d'suite que tu t'énerves pour un rien, toi.

 

Le père :

-Ah ! pour un rien ! T'appelles ça pour un rien, toi !

Ça fait une heure qu'on est parti, et on a pas avancé d'un kilomètre !

(Il remue la tête)

-(soupir)...Et elle appelle ça pour un rien ! Ch’te jure…

 

Silence,

il tapote de plus belle sur le volant,

il soupire.

 

La fille :

elle enlève son walkman, du coup, la musique est plus forte

-Quelle heure qu’il est ?

 

Le père :

(il la regarde méchamment dans le rétro)

 

(Silence)

 

Finalement, en soupirant, il enlève sa main gauche du volant,

et regarde sa montre (à quartz)

(double-take)

-Ah ben voilà ! ê marche pu !

Il secoue son bras.

-Ah ben non, ê marche pu !

 

La mère :

-Quoi ! ê marche pu ?! Montre !

 

Le père,

(il ricane, énervé, lui tend son bras).

-Ouaaaais, c'est ça ! Montre ! C’est une montre ! 

 

La mère,

vexée, se renfrogne, croise les bras.

-Bon, ben, si c’est comme ça, moi, j’dis pu rien !

 

(Silence)

 

Le père :

(soupir)

-Puuutain, y a des jours, tiens...

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Le garçon :

-J’l’avais bien dit qu’on aurait mieux fait d’prend’ le train.

 

Le père :

-Ah ouais c’est ça, et avec quoi tu vas les payer toi, les billets d’train?

 

Le garçon :

-Ben, tu t’en fous, tu les paies[1] pas les billets, tu montes dans l’train, pis c’est tout !

 

Le père :

-Ah ouais, pour finir en prison, t’as raison !

 

La fille :

-On les met en prison, les gens qui les paient[2] pas leurs billets dans les trains ?

 

La mère :

-Mais non…

 

Le père :

-Eh ben, on devrait !

Si… si on les foutrait en taule,

tous les gens qui les paient[3] pas leurs billets d’train,

eh ben y aurait ptête moins d’monde sur les routes !

 

(Silence)

 

Le garçon :

-J’vois pas l’rapport.

 

Le père :

-Quoi, quel rapport ?

 

Le garçon :

-Ben, eh ! Si c’est ceux qui prennent le train, i vont pas sur les routes !

 

La fille :

-Ah ouais, c’est vrai, ça, tiens !

 

Le père :

-Aaah mais vous commencez à m’faire chier, à la fin, avec vos histoires à la con !

Si ça continue, l’prochain coup, moi j‘vais m’balader en vélo,

et vous, vous irez à pied à ch’val ou en voiture, moi j’m’en fous !

 

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Le père,

tendant la main droite vers la boîte à gants :

-Bon, prends la carte dans la boîte à gants...

 

La mère

Elle ouvre la boîte à gants, elle se penche, elle fouille dedans.

-J’la trouve pas.

 

Le père :

-Quoi, elle est pas d’dans ?!

 

La mère :

-Ben j’la trouve pas, j’te dis !

 

Le père :

-Mais fouille, bordel !

Puutain, toi tu trouv’rais pas d’l’eau dans une rivière !

 

La mère :

-J’te dis qu’elle est pas là!

 

Le père

(Il marmonne) :

-ouais, si c’était une bite, tu la trouverais bien !

(Plus fort) :

Et ça, c’est quoi ? (Il montre la carte routière, qui dépasse)

 

La mère,

 prenant la carte :

-Ouais, ben t’as qu’à mieux ranger tes affaires, aussi.

 

Le père :

-Ah, ça y est, c’est d’ma faute !

Eh, j’peux pas être à la foire et au volant, hein !

 

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La mère, elle range un peu les trucs dans la boîte à gants. 

Le père la regarde faire, il dit rien.

 

Le garçon sifflote.

Le père soupire, il lui jette un regard noir dans le rétro intérieur.

 

(Silence).

 

La mère déplie la carte routière.

(c'est chiant à déplier, une carte routière, en bagnole,

 surtout quand c'est une vieille carte routière, usée, déchirée,

et qui a été mal repliée) Elle la plie, la déplie, la replie…

 

Le père :

-Mais qu’est-ce tu fous ?

 

La mère :

-Ben, j’la r’plie, la carte, elle est mal pliée.

 

Le père, il explose :

-Et alors ! Faut la déplier, la carte, qui c’est qui t’as d’mandé d’la r’plier ?!

T’as qu’à passer l’aspirateur, aussi, tant qu’t’y es, s’tu veux…

 

Elle écarte d’un coup la carte en ouvrant grand les bras.

 

Le père :

-Mais fais gaffe, bordel, je vois pu rien...

 

La mère :

-Ah ouais, ben tu veux qu’j’la déplie, ou quoi ?...

 

Le père :

-Ouais, mais j'vois pu rien, là, j'te dis, tu m'la fous en plein d'vant les yeux, meerde, bordel.

 

Le garçon :

-T'façon, à cette vitesse-là, si on s'plante, on risque rien !

 

Le père :

-Ah toi, tu dis encore un mot, tu vas voir c’que j’vais t’planter dans l’cul, t’à l’heure !

 

(Silence).

 

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La mère. 

Elle suit une route sur la carte avec son doigt.

-Oh, j'y comprends rien, moi, c'est écrit trop petit.

Et c'est quoi, tous ces traits rouges, là ?

 

Le père,

il soupire :

-Bon attends, fais voir.

En tenant son volant, il se penche pour regarder la carte.

-Mais putaaain, vire ta main, j'vois rien, bordel...

(Silence)

Il fronce les sourcils.

Au bout d’un moment :

-Ah merde, laisse tomber ! C’est la carte de la Suisse!

 

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Le garçon  sifflote.

 

Le père :

-Aaah, tu peux pas arrêter d'siffler un peu, toi, bon dieu d'bon dieu !

(à la mère :)

-Comment tu veux qu'j’me concentre, avec l'autre crétin, là,

qui siff’e tout l'temps comme un âne.

 

La mère,

se tournant vers l'arrière :

-Chuuuut, arrête de siffler, tu vois bien qu'ça énerve ton père.

 

Le garçon, 

il hausse les épaules.

 

(Silence)

 

La fille :

-Ça siff’ même pas, les ânes.

Ça braille ! (sic)

 

Le père :

-ouais, ben moi, j’en connais au moins un qui siffle !

 

Le garçon arrête de siffler.

Il fout un coup de coude à sa soeur, ils commencent à se chamailler.

 

La mère,

 se retournant :

-Arrêtez, ça va encore mal finir.

 

Le père :

-Ah ouais, hein, ça suffit comme ça, vous deux, c'est pas l'moment…

Vous arrêtez où j'vous laisse su’ l’bord d’la route.

 

Le garçon:

-Ouais, ben on irait p'tête plus vite à pieds !

 

Le père,

 il explose :

-Quoi ! Tu… tu… tu veux ta main sur ma gueule, ou quoi ? (Sic)

 

La mère :

-EDOUARD, ARRETE !

 

Le père,

 levant les deux mains, et  montrant le volant :

-On EST arrêté ! 

 

(Silence)

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À un moment, le père tourne la tête à gauche,

y a un camion-benne  qui les double.

 

Le père :

-Non mais putain, mais t'as vu c'con-là !... La vitesse !

i.. il a même pas l'droit de doubler, là ! ah, le con !

 

Il tape sur le klaxon. (silence.)

Il montre le klaxon de la main.

-Aah, et voilà ! Ça y est ! i marche pu, l'klaxon, non pu !!

Il engueule le camion :

-CONNARD, va !

 

Le garçon grommelle un truc inaudible.

 

Le père,

de plus en plus énervé, se retourne brusquement :

-Qu'est-ce t'as dit ? Qu’est-ce qu'il a dit encore, lui ?

 

La fille,

en ricanant :

-Il a dit que si t'avais une meilleure bagnole,

il nous aurait p'tête pas doublés, l'camion !

 

Le père :

-QUOI !? Alors… Alors c'est comme ça, on se fait chiiier à... à... à longueur d'année, pour… pour des... pour... pour, pour entendre des conneries comme ça, et... et…

 

La mère :

-Mais t'énerve pas, c'est pas ça qui va arranger...

 

Le père :

-Ah toi, ça va hein ! Même pas capable de lire une carte routière !

Puuutain, quelle vie, mais quelle vie, meeerde, fais chier tiens, vous... vous...

Ah pis, si c’est comme ça, moi, j'me barre, tiens !

 

Il enlève sa ceinture, ouvre la portière et sort, en claquant la portière

(Extérieur)

Il part à pieds.

On voit que c’est une carcasse de bagnole sans roues,

montée sur des parpaings,

dans une décharge ou dans une casse.

À côté d'la bagnole, y a une bétonneuse qui tourne

(dont on a entendu le moteur pendant tout le film, en croyant que c'était celui de la bagnole) 

 

GÉNÉRIQUE DE FIN.

 

 

La mère :

gros plan à travers le pare-brise, toujours dans la bagnole, dépitée,

peut-être elle chiale un peu, elle fait « non » de la tête :

-On arrivera jamais...

 

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NB :

Quand c’est écrit (silence), en fait, on entend toujours quelque chose :

Le garçon qui sifflote

le bruit du walkman

la mère qui se lime les ongles

le papier de la carte qu’elle déplie

ou le bruit d’un moteur

ou d’autres voitures qui passent, des klaxons.

 

-ça peut être tourné à côté d'une route, 

qu'on voie quand même un peu de mouvement à travers les vitres latérales,

des voitures qui vont dans le sens inverse.

-faut jouer avec de la buée sur les carreaux

(la petite à l’arrière, elle peut faire des dessins avec son doigt sur son carreau)

-bref, essayer de masquer le fait que, pendant toute la scène, la caisse,

elle avance pas.

 

Du coup, comme la caisse est hors d’usage, ça élimine les possibilités de :

-scènes de pluie (pas d’essuie-glace)

-nuit (pas de lumières au tableau de bord)

 

y a moyen de jouer à fond sur le rétroviseur intérieur.

 

-l’idéal serait que la bagnole soit juchée assez haut sur des parpaings,

 de manière à ce que, à travers les carreaux,

on voie surtout du ciel et des nuages.



[1] Bien prononcer : pèille.

 

[2] Bien prononcer : pèille.

[3] Bien prononcer : pèille.

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